La traversée du Pacifique
Au milieu de tout et de nulle part : Réflexion sur le non-lieu
Nous avons passé plus de deux mois dans le Nord du Chili à préparer le bateau pour la plus grande traversée du voyage : celle de l’océan Pacifique. Les pluies torrentielles de Patagonie ont causé quelques dégâts dans le bateau et ont révélé des fuites au niveau des fenêtres du salon. Il a donc fallu les enlever une à une et refaire tout le silicone avant de les réinstaller. Le climat hyperaride de la région d’Atacama était parfait pour ce genre de travaux vues les précipitations annuelles quasi inexistantes. Nous avons également fabriqué un tangon ou « whisker pole » avec un vieux mât abandonné trouvé à la marina. Celui-ci nous permettra d’avoir le génois d’un côté et le gennaker (voile d’avant plus grande que le génois) de l’autre lors de vents très légers.
Outre les travaux sur le bateau, nous devions également effectuer les démarches pour l’obtention d’un visa long séjour pour la Polynésie française. Notre traversée prévue pour fin novembre, nous comptions arriver en Polynésie juste avant la saison des cyclones dans le Pacifique Sud et aurions donc besoin de demeurer plus de trois mois sur le territoire avant de continuer vers les îles plus à l’Ouest.
Quelques péripéties bureaucratiques plus tard, nous obtenons notre visa et sommes enfin prêts à commencer notre transpacifique. Notre plan pour les premiers jours est de dévier légèrement en direction du Nord-Ouest pour rejoindre les Alizées et ainsi avoir des vents continues de 15 à 25 noeuds du Sud-Est pour le reste du voyage. Si le temps le permet, nous nous arrêterons à Rapa Nui, plus connue en français sous le nom d’ « Île de Pâques ». La distance à parcourir d’Antofagasta à l’Île de Pâques est d’environ 4000 kilomètres.
Les premiers jours, nous parcourons les miles nautiques à une vitesse de 8 à 9 noeuds, en ayant toujours au moins un ris sur la grand voile durant la journée et en en prenant un second durant la nuit (prendre un ris signifiant réduire la taille de la grand voile).
Le fait d’être deux sur le bateau nous force à avoir des gardes de nuit assez longues pour au moins les trois premiers jours, tant que l’on se trouve aux abords des côtes chiliennes. Nous n’avons pas de radar et devons donc être vigilents au cas où nous croiserions d’autres bateaux. Nous en voyons en effet plusieurs mais petit à petit, nous nous retrouvons complètement seuls pour de nombreux jours au milieu de l’océan. Nos seuls amis sont les dauphins, les baleines, et quelques oiseaux qui profitent du bateau pour avoir un moment de repos au milieu du grand bleu.
Les journées défilent, le temps se resssent mais passe tout de même plus vite que sur la terre ferme. Il y a à la fois tant à faire et rien à faire en pleine mer. Vivre en mer, c’est un peu réapprendre à vivre. Pas de réseaux sociaux ou de courriels, pas de téléphone, pas de bières entre amis, pas de cours, pas de travail, que le bruit du vent et des vagues et un retour à soi-même. On disait autrefois que la mer rendait fou. Je dirais qu’être en mer, c’est un peu flirter avec la mort. Ou être à la fois au centre de tout et au milieu de nulle part. C’est être hors contexte, hors identité, c’est être dans un non-lieu, un lieu que tout le monde peut pointer du bout du doigt sur un globe ou dans un atlas, mais que peu de gens voient réellement de leur yeux, vus.
Qu’est-ce qu’on fait sur un bateau en haute mer ? On ajuste les voiles, on répare des choses, on apprend de nouveaux trucs et on apprend à en désapprendre d’autres. On change nos habitudes. Certains lisent comme jamais ils ont lu, d’autres en profitent pour ne rien faire du tout, certains méditent et font du yoga, d’autres apprennent à jouer d’un instrument ou se mettent à la sculpture. Oui, la sculpture, pourquoi pas. Certains écrivent, se parlent à eux-mêmes à voix haute, d’autres demeurent sans mot. Mais tous apprennent à sentir. Être en mer, c’est apprendre à ressentir les moindres mouvements normaux ou anormaux du bateau, c’est apprendre à accepter d’être petit face à une immensité qui fait peur, parfois. C’est ressentir et accepter la solitude. On pourrait même dire que la navigation en mer est un peu une désintoxication de la civilisation, une sorte de retour aux sources. Et plus concrètement, on vérifie tous les jours la météo, on planifie son trajet, on apprend à être dépendant du temps qu’il fera, et on s’adapte.
Être en mer, c’est aussi pêcher ! Durant la traversée, nous pêchons plusieurs thons Albacore et Yellowfin d’une grosseur considérable… probablement nos meilleures prises de tout le voyage. Nos gardes de nuit sont agrémentées de sashimi.
Notre vitesse moyenne se régularise à 6 ou 7 noeuds, et nous touchons très peu les voiles.
Au bout d’une dizaine de jours, nous amorçons notre descente vers le Sud-Ouest et quittons peu à peu les Alizées. Deux jours plus tard, le vent se calme puis meurt complètement et nous peinons à avoir une vitesse supérieure à 3 noeuds, même en ayant le génois et le gennaker.
En grande traversée comme celle-ci, nous utilisons presque toujours le pilote automatique. Meilleur allié des navigateurs modernes, il nous évite d’être à la barre 24 heures sur 24.
Le quinzième jour, un alarmant « bip bip bip bip bip » nous réveille de notre rêverie : le pilote automatique a cessé de fonctionner. Nous devons donc barrer le bateau en nous relayant aux deux heures. Épuisés, nous réalisons bien vite que nous ne voulons pas continuer comme ça pour les derniers jours du voyage.
Notre seule chance est de désinstaller la pompe du pilote automatique, ce qui empêchera toutefois toute manoeuvre avec le bateau pendant plusieurs heures. Nous voilà donc les deux essayant de réparer le pilote automatique sur un bateau à la dérive ! Et en entre temps, le vent s’est levé, et les vagues atteignent désormais deux mètres…! Restons zens.
Après cinq heures de travail, nous parvenons finalement à réparer la pompe hydraulique et le pilote automatique fonctionne à nouveau ! Nous reprenons notre vitesse de croisière, retrouvons notre cap, direction : Rapa Nui !
Le dix-huitième jour, nous apercevons enfin l’île mythique à l’horizon. À nous les longues nuits de sommeil, les Moais, la pizza de fin de traversée et le vin chilien, bien mérités !
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